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Tracteur

 

Heiner Müller / traduit de l’allemand par Jean-Pierre Morel

 

Mise en scène Irène Bonnaud

 

Avec : Dan Artus, François Chattot, Sophie-Aude Picon, Volodia Serre, Nantene Traore

 

Scénographie : Claire Le Gal – Lumière Daniel Levy – Musique Emmanuel Dupart – Assistant à la mise en scène Nicolas Kerszenbaum – Régie générale Joëlle Payet

 

Production déléguée : Théâtre Vidy-Lausanne E.T.E., en coproduction avec le Théâtre de la Bastille.

Photos © Mario del Curto

Tracteur ne dit pas grand-chose du véhicule agricole du même nom. Comme souvent chez Müller, le vocabulaire de la production est utilisé pour dire les désastres de l'Histoire ou le processus de l'écriture.

Tracteur : le mot, désignant tout mécanisme qui sert à tirer un corps, est d'abord apparu pour désigner un instrument de chirurgie servant à tirer le fœtus dans les accouchements laborieux. Tracteur raconte la naissance d'un enfant mort-né, un pays où a vécu l'auteur et qui a disparu peu de temps avant lui. Les morts étouffent les vivants, le terrain est miné. La pièce relate ce qu'il advient du champ de bataille après la bataille. Les catastrophes du passé engendrent d'autres catastrophes, ruines sur ruines, à l'infini.

 Tracteur : le mot désigne le dispositif d'une imprimante qui règle la position du papier. Pièce méconnue en Allemagne, jamais jouée en France, Tracteur est la pièce qui a inauguré en 1975 la période la plus expérimentale de l'œuvre de Müller. Elle impose la présence de l'auteur sur la scène, agence des lambeaux de texte sans maquiller les cicatrices, met le théâtre en crise, et retrouve la structure chorale de la tragédie.

 

- Vous ne trouvez pas vos pièces tristes ?

- Les gens ont aujourd'hui une attitude dépravée envers le tragique ou envers la mort. L'idéal pour moi serait de "vivre sans espoir ni désespoir". Et cela s'apprend. Je pense que je peux y arriver. Les gens posent toujours des questions sur l'espérance. C'est une catégorie chrétienne. Ce problème n'existait pas pour les Grecs, les contemporains de Sophocle : on n'éprouvait alors ni espoir ni désespoir. On vivait. A cause du christianisme, l'attitude qui consistait à considérer le tragique comme un enrichissement de la vie et du théâtre s'est perdue. Le tragique est un phénomène vital : je vois un homme sombrer et cela me donne de la force. Aujourd'hui,  quand on voit quelqu'un sombrer, la réaction courante est d'être déprimé.


                                                                              Entretien avec Heiner Müller, 1986.

 

Armelle Heliot, Questions d'atmosphère

Michel Cournot, Les Collages de Heiner Müller

Didier Mereuze, Etre ou ne pas être un héros

René Solis, Laboureur de mort, tracteur de vie

Le face-à-face du grincement de dents, des incendies et du chant

  • 1

    Le face-à-face du grincement de dents, des incendies et du chant

  • 2

    "Ton lopin de terre ne vaut pas mon cadavre."

  • 3

    "Bouffez, ceci est ma chair."

  • 4

    "Pourquoi tu me racontes ça - est-ce que c'est moi, Hitler ?"

  • 5

    "Arrache-toi une jambe et tu seras dans le journal."

  • 6

    La libération des morts a lieu au ralenti

  • 7

    "Où est passé ta viande, mon vieux morceau d'os ?"

  • 8

    "On a appris à la guerre à faire de bonnes prothèses."

  • 9

    "Le bout de terrain est en verre, les morts fixement de leurs orbites vides me regardent d'en bas."

  • 10

    Toujours la même pierre à rouler vers le haut de toujours la même montagne...

Tu n’iras pas dans ta fosse à cheval sur mon dos.

 

Je ne suis pas un héros. Dégage de ma nuque, pâture pour asticots.

 

Laboureur de mines que sa propre friche laboure.

 

Où est passée ta viande, mon vieux morceau d’os.

 

Si tu m’avais écouté, tu serais encore entier.

 

Tire-toi, tes fleurs et couronnes je ne cours pas après.

 

Qu’est-ce que tu veux. Même si tu arrêtais ma montre

 

Avec ton sac d’os qui a volé en petits morceaux

 

Tu ne rajeunirais pas, le chien chie vers l’arrière.

 

Si la bière ne te dit plus rien, qu’est-ce que j’y peux.

 

Je ne t’ai pas fait l’article pour la montée au cieux.

 

Jusqu’à quand irons-nous courbés devant nos petits-enfants

 

Chacun son étage de cadavres sur la nuque

 

Et chacun enceint de sa propre charogne.

 

Grimpe sur d’autres, héros, je ne serai pas ton cheval.

 

Enlève de ma bosse ton cul immatériel

 

J’en porte déjà assez lourd sur mon propre derrière.

 

Descends ou bien je te montre où est ta place.

 

Tu es la majorité, mais je suis en haut

 

Et ce que la terre contient marche à son allure

 

Tant qu’elle ne s’arrête pas, pas de résurrection

 

Ta viande ira à l’école chez les asticots.

 

Et maintenant, que je te montre ce que tu es. Ça :

 

De la merde sous la botte, un peu de terre à labour.

 

JE T'AI POURTANT DIT DE NE PAS REVENIR

QUAND ON EST MORT ON EST MORT

 

Création française le 10 janvier 2003 au Théâtre de la Bastille-Paris.

 

Développé avec Berta