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Antoine et Cléopâtre / Shakespeare



Traduit de l'anglais par Irène Bonnaud, en collaboration avec Célie Pauthe

Traduction publiée aux éditions des Solitaires Intempestifs

Avec trois poèmes de Constantin Cavafy, traduits du grec par Irène Bonnaud

Commande du Centre Dramatique National de Besançon Franche-Comté pour une mise en scène de Célie Pauthe.

Saisons 2021-2022.



Extraits du dossier de presse

La pièce de Shakespeare, inspirée des Vies de Plutarque, raconte le conflit entre Marc Antoine et César Octave, la période de transition entre République et Empire, la soumission de l’Orient au joug romain. Elle raconte aussi une des plus célèbres histoires d’amour rapportées par la tradition, si bien que les spécialistes de Shakespeare la voient souvent comme un monstre inclassable, aussi bien tragédie de l’amour que drame historique.

Sa première édition, posthume, est dans le Folio de 1623. Elle a été divisée en cinq actes par souci pratique des éditeurs et se présente comme une suite de 43 scènes. On la date en général des années 1606-1608, sans doute à la suite d’Othello, Lear, et Macbeth : c’est un Shakespeare de la maturité, au sommet de son art, capable d’embrasser douze ans d’histoire en quelques heures de spectacle, de mêler l’histoire d’une passion avec la destinée de dizaines de royaumes.

Car avec la victoire d’Octave à Actium, c’est l’équilibre du monde méditerranéen qui bascule d’Est en Ouest, préparant avec le règne d’Auguste la domination de l’Occident chrétien sur tout l’univers. C’est cette tension Orient-Occident qui intéressait la metteuse en scène Célie Pauthe : elle a voulu placer ce travail dans la continuité de son projet sur L’Orestie menée pendant plusieurs années avec des artistes irakiens, dans la continuité aussi de sa récente mise en scène de la Bérénice de Racine, dont elle a repris les deux principaux interprètes, Mélodie Richard et Mounir Margoum.  
   

C’est donc par admiration pour ses traductions du grec et pour ancrer son spectacle en Méditerranée orientale que Célie Pauthe a commandé à Irène Bonnaud une nouvelle traduction. Désirant mêler la pièce de Shakespeare aux vers du poète grec d’Egypte, Constantin Cavafy, elle avait besoin de quelqu’un qui puisse naviguer entre l’anglais et le grec, qui puisse aussi traduire Shakespeare à partir de l’expérience du plateau.

«Irène Bonnaud signe pour nous une nouvelle traduction d’une grande force poétique, qui déplie parfois jusqu’au vertige l’orfèvrerie des images, des visions que l’oeuvre contient, faite pour la scène.» (Célie Pauthe)

Pour Irène Bonnaud, «la traduction de Shakespeare en français pose des questions semblables à celle des tragiques grecs : comment rendre l’extraordinaire rythmique de la langue, alors que notre système de versification est si différent ; comment conserver le merveilleux mélange de pensée et d’images concrètes que charrient ces œuvres, l’alliage de trivial et de sublime, de tragique et de comique, si caractéristique de Shakespeare et - on le sait moins - de Sophocle».



Antoine et Cléopâtre, acte I, scène 4



Messager


        César, je t’en informe :
Menecrates et Menas, les célèbres pirates,  
Ont fait de la mer leur esclave : ils la labourent et la blessent
Des quilles de leurs vaisseaux. Beaucoup de leurs chaudes incursions
Poussent jusqu’en Italie ; les peuples de la côte
Blémissent en les voyant approcher, mais les jeunes, excités, en profitent.
Nulle embarcation ne peut montrer le bout de son nez : aussitôt vue,
Aussitôt prise - car le nom de Pompée frappe plus fort
Que ne ferait son armée si on lui résistait.

Octave
                          Antoine,
Abandonne beuveries et baisers ! Quand jadis
Tu fus battu et chassé de Modène, où tu avais massacré
Les deux consuls Hirtius et Pansa, la Famine
Etait sur tes talons, mais tu as lutté contre elle -
Toi élevé dans tant de délicatesse - avec plus d’endurance
Qu’en auraient supporté des sauvages. Tu as bu
L’urine des chevaux, bu aux flaques couvertes de cette écume dorée
Qui dégoûte les bêtes. Ton palais alors ne dédaignait pas
Les baies les plus amères des buissons les plus épineux.
Oui, comme le cerf quand un lit de neige recouvre les pâturages,
Tu as brouté l’écorce des arbres. Dans les Alpes  
- On le raconte - tu as mangé d’une chair étrange
Dont certains sont morts rien qu’à la regarder. Et tout cela
(Quelle insulte à ton honneur que d’en reparler aujourd’hui)
Tu l’as supporté en soldat - si bien que ta joue
N’en avait même pas maigri.

Lépide
Quel dommage.



Rois d’Alexandrie

Constantin Cavafy - traduit du grec par Irène Bonnaud



Ils se sont rassemblés, les habitants d’Alexandrie
Pour voir les enfants de Cléopâtre,
Césarion, et ses petits frères,
Alexandre et Ptolémée, que pour la première
Fois on sortait au stade,
Pour que ce soit là qu’ils fussent proclamés rois,
Au milieu du brillant défilé des soldats.

Alexandre - ils le dirent roi
De l’Arménie, de la Médie et des Parthes.
Ptolémée - ils le dirent roi
De la Sicile, de la Syrie et de la Phénicie.
Césarion se tenait plus avant,
Vêtu de soie rose,
Sur sa poitrine un bouquet de jacinthes,
Sa ceinture un double rang de saphirs et d’améthystes,
Et ses bottes lacées de blanches
Cordelettes serties de perles couleur de rose. 
Lui ils le dirent plus que les petits,
Ils le dirent Roi des Rois.

Les habitants d’Alexandrie comprenaient bien sûr
Que c’était des mots, tout ça, du théâtre.

Mais la journée était chaude et poétique,
Le ciel d’un bleu clair,
Le stade d’Alexandrie une
Réussite triomphale de l’art,
Le luxe des courtisans exceptionnel,
Césarion tout entier charme et beauté
(«Fils de Cléopâtre», « du sang des Lagides»);
Alors les habitants d’Alexandrie couraient à la cérémonie,
Et s’enthousiasmaient, et criaient «bravo»
En grec, en égyptien, quelques-uns en hébreu,
Fascinés qu’ils étaient par ce beau spectacle -
Mais bien sûr ils savaient ce que ça valait tout ça,
Quels mots creux c’était, ces royaumes.

Développé avec Berta